Cela m’arrive rarement mais je suis agacée…
Agacée par le fameux claim « cruelty free ».
Est-ce lié à une réminiscence de mes études juridiques ? Je ne sais pas mais même avec toute la bienveillance dont j’espère savoir faire preuve, je ne comprends pas que la communication marketing puisse « oublier » la réglementation. Pourtant la DGCCRF est claire sur ce point : la mention « non testé sur les animaux » est abusive et constitue une pratique commerciale trompeuse.
Aussi, plutôt que de râler toute seule dans mon coin, je me suis dit qu’il serait plus constructif d’apporter des explications. Afin d’apporter une vision éclairée, j’ai donc invité une spécialiste dans le domaine de la communication scientifique : Marie DEHLINGER.
J’ai rencontré Marie lors de la journée sur la Beauté Connectée organisée par la SFC. Le courant est tout de suite passé et comme nous sommes deux pipelettes, c’est en mode course à pied (en escarpins…la scène devait être cocasse) que j’ai tout de même réussi à attraper mon train.
Par la suite, nous avons continué à échanger via LinkedIn et un jour, lassée de voir une énième communication avec le claim « cruelty free », j’ai invité Marie à écrire sur mon blog.
Vous savez tout désormais des coulisses de cet article, je laisse la parole à Marie !
« Non testé sur les animaux » ou « cruelty free », voici des allégations (ou claims en anglais) fréquemment retrouvés sur les emballages de nos produits cosmétiques. Pourtant, même si les consommateurs en sont friands, ces allégations sont tout simplement interdites en Europe.
Cruelty free, ça veut dire quoi ?
Un petit point de vocabulaire pour commencer : « cruelty free » (ou « sans cruauté » une fois passé à la moulinette Toubon), cela veut tout simplement que le produit cosmétique et les ingrédients qui le composent n’ont pas été testé sur les animaux. C’est donc un équivalent plus international et plus punchy de l’allégation « non testé sur les animaux ».
Or, en Europe, cette allégation ne devrait pas figurer sur les produits cosmétiques présents sur le marché. En effet, la réglementation européenne qui encadre les produits cosmétique interdit la mise sur le marché de produits testés sur les animaux. Et brandir le fait de respecter la réglementation comme une médaille est justement contraire à ladite réglementation…
Après le point de vocabulaire, un point réglementaire !
Les tests sur animaux : le cadre réglementaire
Une interdiction "qui ne date pas d'hier"
En Europe, le recours à l’expérimentation animale pour évaluer la sécurité des produits cosmétiques est interdit depuis 2004 pour les produits finis.
En 2009, cette interdiction s’étend aux ingrédients utilisés dans les produits cosmétiques, sauf dans le cas de trois tests (toxicité à dose répétée, toxicocinétique, toxicité pour la reproduction car il n’existe pas alors de méthode alternative validée pour remplacer ces tests).
L’entrée en force du Règlement cosmétique (UE) n° 1223/2009 interdit la mise sur le marché européen de produits cosmétiques finis testés sur les animaux ou contenant des ingrédients ou des mélanges testés sur les animaux, sauf dans le cas des trois tests précédemment cités.
L’interdiction totale de mise sur le marché de produits cosmétiques contenant des ingrédients ou des mélanges d’ingrédients testés sur les animaux est effective en 2013. Au fil des années, ce sont plus de 70 millions d’euros qui ont été investis dans les méthodes alternatives aux tests sur animaux.
2004
Interdiction de l’expérimentation animale pour les produits finis
2009
Interdiction de l’expérimentation animale pour les ingrédients
Sauf 3 tests (cf article)
2009
Interdiction de mise sur le marché européen
des produits cosmétiques finis ou contenant des ingrédients testés sur animaux (sauf 3 tests, cf article)
2013
Interdiction totale de mise sur le marché européen
Le règlement cosmétique (UE) n° 1223/2009 interdit la mise sur le marché européen de produits cosmétiques finis testés sur les animaux ou contenant des ingrédients ou des mélanges testés sur les animaux.
1er juillet 2019
Entrée en vigueur de la 8ème version de la Recommandation « Produits cosmétiques »
L’ARPP (Autorité de Régulation professionnelle de la Publicité) a réalisé une vidéo pédagogique et ludique pour en résumer les points principaux et aborde également la notion de cruelty free.
Présentation de la Recommandation sur les produits cosmétiques – ARPP
Une nuance importante
Il y a une nuance entre l’interdiction des tests sur animaux en Europe et l’interdiction de mise sur le marché de produits testés sur animaux :
- dans le premier cas il est toujours possible d’utiliser l’expérimentation animale, mais elle ne doit pas être réalisée sur le sol européen.
- Le deuxième cas, en vigueur depuis 2009, implique que si des tests sur animaux sont effectués pour assurer de la sécurité du produit, il ne peut pas être vendu sur le sol européen.
Les produits cosmétiques vendus sur le marché européen ne sont donc pas testés sur les animaux. Si la plupart des marques ne l’affichent pas clairement sur les produits, c’est qu’elles n’en ont pas le droit : le Règlement (UE) n°655/2013 explicite les 6 critères communs que doivent respecter les allégations autour des produits cosmétiques. Alléguer respecter la réglementation c’est enfreindre le premier de ces critères communs (car c’est le minimum syndical pour mettre un produit sur le marché !). Mais les bons élèves qui respectent les critères communs sont alors suspectés de tester sur les animaux, car ils ne disent pas le contraire ! C’est le monde à l’envers : ceux qui respectent la réglementation sont suspectés du contraire…
Un impact sur le reste du monde
Dans le reste du monde, le sujet des tests sur animaux pour les produits cosmétiques n’est pas toujours aussi avancé qu’en Europe, même si beaucoup de pays les ont déjà interdits : Norvège, plusieurs états du Brésil, Israël, Inde, Nouvelle-Zélande. De nombreux pays s’engagent également sur cette voie, comme l’Australie, le Canada, la Colombie ou encore les Etats-Unis.
L’interdiction de la mise sur le marché de produits cosmétiques testés sur animaux, incluant les ingrédients, impacte en fait le reste du monde.
En effet, si une marque veut vendre ses produits sur le marché européen (qui est l’un des plus importants du monde), elle doit utiliser des méthodes alternatives aux tests sur animaux pour assurer de la sécurité de ses produits (dans le cadre de l’évaluation de la sécurité exigée par le Règlement cosmétique). Ces méthodes alternatives sont validées à un niveau international, et reconnues dans la majorité des pays. Si les pays qui n’interdisent pas les tests sur animaux reconnaissent ces méthodes comme adéquates pour attester de la sécurité des produits cosmétiques, nul besoin de refaire les tests sur animaux.
Je vous vois venir : oui mais si les produits sont vendus en Chine ils sont testés sur les animaux !
Le cas des produits vendus en Chine
Et bien… c’est plus compliqué que cela !
Dans le cas de la Chine, c’est le gouvernement qui accorde l’autorisation de mise sur le marché des produits cosmétiques. C’est donc une responsabilité d’état de mettre ces produits sur le marché, et il doit s’assurer de leur sécurité d’utilisation.
Pour cela, le gouvernement chinois (et non les marques) mandate des tests dans des laboratoires agréés par l’état, tests réalisés, et c’est le cœur du problème, sur des animaux, avant et pendant la mise sur le marché. Car la Chine ne reconnaissait pas jusque-là les méthodes alternatives validées par l’OCDE (un petit problème de confiance ?). A la mise en place de cette réglementation, il y avait sans doute aussi une mesure de protectorat de son marché intérieur. Mais les évolutions géopolitiques font que ce sujet bouge lentement.
Ha ! Donc si une marque vend en Chine les produits sont testés sur animaux ! Pas toujours. Car il existe plusieurs cas dans lesquels il est possible d’échapper à ces tests, et certaines marques qui allèguent « cruelty free » vendent d’ailleurs sur le marché chinois.
Pas besoin de pouvoirs magiques, il « suffit » d’éviter la présence physique des produits sur le territoire chinois et vendre via le commerce transfrontalier.
Autre technique : produire localement les produits cosmétiques « ordinaires » : produits de soin de la peau et des cheveux (autres que les produits dit d’usage spécifique comme anti-taches, anti-acné, déodorants, teintures pour les cheveux, crèmes solaires ou encore contenant de nouveaux ingrédients), maquillage, parfum. C’est le choix de plusieurs grands groupes, qui ont implantés des usines en Chine : les produits cosmétiques ordinaires produits sur le sol chinois sont exemptés de tests sur animaux.
Le sujet est en constante progression. L’été 2020 marque en effet la publication du projet de texte du Cosmetics Supervision and Administration Regulation (CSAR), qui devrait entrer en force en 2021. Si les points concernant les tests sur animaux ne sont pas encore définis, plusieurs méthodes alternatives devraient être validées. Les produits ordinaires importés seraient exemptés de tests sur animaux, sous conditions. Ces progrès sont certes liés au travail des associations de protection animale, comme Cruelty free International, mais surtout au lobbying des marques et des associations professionnelles cosmétiques (comme quoi le lobbying peut être positif !). Malheureusement, ce sont plus les intérêts financiers et géopolitiques qui font bouger les choses que l’amour des petits lapins.
Cette problématique des tests sur animaux encore obligatoires en Chine incite certaines marques à faire certifier leurs produits « cruelty free ».
Les certifications « cruelty free »
La plus connue des certifications « cruelty free » est le « leaping bunny », le petit lapin bondissant, de Cruelty free International, dont le standard a été établi par la Coalition pour l’Information des Consommateurs dans les Cosmétiques (fondée par 8 associations de protection animale).
L’association PETA propose aussi une certification « cruelty free », avec un logo figurant une tête de lapin aux oreilles roses. La certification est une démarche plus proactive et plus intéressante que simplement apposer « cruelty free » sur le produit, car les standards peuvent être parfois plus exigeants que le simple respect de la réglementation. Par exemple, le standard « leaping bunny » impose des audits de contrôle.
Cependant, la DGCCRF estime que le contenu de ces standards doit être facilement accessible aux consommateurs. Tout autre utilisation de logo « maison » non obtenu par certification officielle revient à apposer la mention « non testé sur les animaux », qui est donc interdite.
Mais soyons bien clairs : la plupart des ingrédients cosmétiques ont été testés à un moment ou un autre sur les animaux, que cela soit avant l’interdiction par la réglementation, ou dans d’autres secteurs industriels, y compris des substances naturelles comme les huiles végétales ou la glycérine (attention je parle bien de la substance / ingrédient, par exemple le dioxyde de titane, pas de la matière première / dénomination commerciale). En étant puriste, on pourrait donc dire qu’un produit complètement cruelty free n’existe pas…
A l’ère des packagings formatés pour l’international, il est compréhensible de vouloir afficher sur son packaging l’absence de test sur animaux.
Cependant, attention à déjà bien considérer son marché « natif » : cette allégation est bien interdite en Europe. De plus, la DGCCRF a déjà communiqué largement sur le sujet en France. Elle estime en effet que la mention « non testé sur les animaux » est abusive et constitue une pratique commerciale trompeuse.
Certaines marques ont d’ailleurs trouvé la parade par une petite pirouette de langage, en écrivant « [la marque] s’engage contre les tests sur les animaux » ou « contre les tests sur animaux ». Une manière plus subtile de faire passer le message, y compris à l’international, sans déroger à la réglementation européenne !
Le lien vers l’article de la DGCCRF :
https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/cosmetiques-ne-vous-fiez-pas-a-lallegation-non-teste-sur-animaux
Je vous invite à retrouver Marie sur LinkedIn et à suivre son compte Instagram @vetcosmetic, une vraie mine d’informations sans langue de bois !